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  • Photo du rédacteurLaure Aussenac

L'autisme, au pays des sciences




L’autiste, avant même sa dénomination par L. Kanner en 1943, tient une place particulière dans les débats : c’est l’enfant sauvage d’Aveyron... De là, s’ouvrent les premières discussions entre aliénistes et éducateurs, de l’infortune à la misère, de la folie au handicap, de l’incurabilité à l’éducabilité... Ainsi, l’histoire se nourrit, se forge, fonde son historicité. S’il ne s’agit pas là de la répéter, mais plutôt de s’en décaler, nous proposons de saisir dans quel contexte l’appréhension de l’autisme a été bouleversée, quels nouveaux signifiants sont arborés pour prôner la désuétude de la psychanalyse, sur quels fondements s’appuient les nouveaux experts de l’autisme ? Nous montrerons qu’à défaut d’une étiologie organique avérée, des découvertes somatiques hypothétiques s’affichent comme vérités alors que leurs incohérences conceptuelles, y compris selon leurs propres critères d’évaluation, invalident leur scientificité. Il nous importera également d’interroger les dérives des traitements qui s’ensuivront. Il ne s’agira pas tant de dénoncer le marché financier qui s’y révèle souvent, que d’interroger le postulat sur lequel ont parié les tenants de ces traitements, et qui en fait leur succès, voire l’engouement : la souffrance psychique des parents.

Le début de la période scientifique de l’autisme 2C’est d’abord aux États-Unis que l’approche de l’autisme va connaître un changement radical. Ce que L. Mottron nomme le « début de la période scientifique de l’autisme » (Mottron, 2004), c’est le tournant des années 1970. En effet, si les théories psychanalytiques ont considérablement influencé la psychiatrie de l’enfant au début du xxe siècle, elles vont connaître un revers tout à fait spectaculaire. Face à une psychiatrie sociale et communautaire ayant eu comme conséquence une démédicalisation, surgissent d’intenses critiques, dont la principale est le manque d’accord dans le diagnostic fiable et valide des pathologies mentales. La construction d’un langage commun vise à établir un consensus sur la notion des syndromes. Le diagnostic s’établit alors au moyen d’outils ad hoc (critères diagnostiques, échelles standardisées, symptômes, durée et intensité). Ce nouveau consensus « a pour résultat, commente D. Laurent, de laisser penser qu’il s’agit d’entités naturelles dont on connaîtra un jour le dysfonctionnement biologique sous-jacent qui les produit » (Laurent, 2004). C’est donc faire table rase de toute hypothèse psychodynamique. Ainsi, est conduite une révision fondamentale du dsm dont le but est de remédicaliser la psychiatrie. De plus, l’essor des sciences cognitives, en s’intéressant aux méthodes de traitement de l’information par le cerveau, participe activement à ce changement radical. 3Parallèlement, un nouveau signifiant s’accole à celui d’autisme : l’intelligence. Dès 1964, B. Rimland fait état de « guérisons spontanées » (Rimland, 1964) d’autistes d’une grande intelligence. La même année, avec un fort retentissement, H.G. Axline publie Dibs, remarquable thérapie d’un jeune enfant qu’elle décrit comme « enfermé dans sa coquille » avant d’émettre l’hypothèse qu’il « fait de l’autisme », lui qui deviendra « un individu capable et brillant, un garçon qui a l’étoffe d’un chef » (Axline, 1964). Puis, B. Bettelheim, dans La forteresse vide (1967), affirme que près de la moitié d’autistes suivis par un traitement thérapeutique intensif connaissent de bons résultats. En 1971, L. Kanner affirme également que trois des enfants observés en 1943 avaient acquis une autonomie « grâce à leur obsessionnalité qui fut valorisée et orientée pour une utilisation pratique » (Kanner, 1971, p. 321). La découverte chez ces sujets de capacités surprenantes tourne définitivement en désuétude l’image gravement déficitaire de la pathologie suggérée par les psychanalystes anglo-saxons. « Les signes d’un potentiel intellectuel élevé » étaient pour eux « les cas d’idiots savants constitués d’enfants autistiques “guéris” » (Tustin, 1972). 4Nous constatons donc une rupture quant à l’appréhension de la maladie mentale, et un contexte quant à l’autisme… 5De nouvelles perspectives s’officialisent en 1972 : « Le programme d’État de Caroline du Nord, écrivent M.D. Lansing et E. Schopler, pour les enfants autistes (la section teacch) est cité à titre de modèle » (Lansing, Schopler, 1978) pour ses procédures d’évaluation qui définissent des programmes scolaires individualisés dans un contexte développemental. « L’implication des parents, poursuivent-ils, favorise le transfert de l’apprentissage de la classe au domicile ». En 1978, dans un important ouvrage (Rutter, Schopler, 1978) où l’autisme est désormais défini selon « différents degrés de gravité » (Wing, 1978, p. 33), est affirmé que l’étiologie de l’autisme n’est plus à rechercher du côté de l’environnement mais du côté organique, ce grâce aux avancées de la science. Seulement, celles-ci ne font état d’aucune certitude. Les hypothèses somatiques, diverses et variées (biochimiques, génétiques, neurologiques, etc.), sont cependant toutes considérées comme prouvant l’existence de facteurs organiques dans l’autisme, tous pouvant être « à l’origine de désastres qui affectent le développement neuronal » (Frith, 1996, p. 135). Ce développement des recherches sert de caution aux cognitivistes pour affirmer que « l’autisme est sans nul doute une maladie d’origine biologique, provoquée par un dysfonctionnement organique » (ibid., p. 115), et, à défaut de sa découverte, sert de promotion aux hypothèses des sciences du traitement de l’information. Il s’agira pour les cognitivistes de chercher « les causes possibles de ce dysfonctionnement », les « processus psychologiques » dont l’origine « non encore identifiée », écrivent-ils sans ambages, est « cérébrale » (ibid., p. 136). Rien de moins scientifique ! C’est bien à partir d’un présupposé d’une faiblesse cognitive, d’un déficit ou d’un mauvais fonctionnement cérébral qu’ils fournissent leurs explications [1][1]Trois principales hypothèses se dégagent en cognition de… des symptômes autistiques et en déduisent leurs traitements. Pourtant, de leur propre aveu, « les résultats prouvant l’existence de facteurs organiques sont encore préliminaires, mais, ajoute U. Frith, cela ne veut pas dire qu’il soit trop tôt pour écarter les causes psychodynamiques » qui, ajoute-t-elle, « n’ont aucun sens » (ibid., p. 116). 6Un nouveau ton est donné : l’autisme relève moins de la psychiatrie que de l’éducation spécialisée. Plusieurs actes s’ensuivent : d’abord, dès la fin des années 1970 aux États-Unis, les parents [2][2]Les « Nationales Societies for Autistic Children » représentent… commencèrent à mener des actions d’ordre politique en faveur de la création de services éducatifs pour leurs enfants. Une législation établissant le droit à l’éducation et exigeant des structures scolaires sur un plan national est obtenue. Dans le même temps, B. Rimland enquête auprès de 5 400 familles d’enfants autistes : les parents devant remplir le questionnaire qu’il propose. Ensuite, E. Schopler, qui remplace L. Kanner à la direction du Journal of Autism and Childhood Schizophrenia, le renomme pour l’occasion Journal of Autism and Development Disorders. Enfin, en 1980, le dsm iii entérine le changement d’orientation, en insérant l’autisme dans les troubles globaux du développement.

Enrayer les anomalies du corps 7En 1988, sort sur les écrans américains le film qui fera connaître au monde entier les « autistes-savants » : Rain Man. Dès lors, l’autisme touche le grand public et intéresse les médias. Tout se confond et se bouscule : une hypothèse étiologique organique est à peine soumise qu’on distribue son traitement. Une défaillance immunitaire ? 8L’hypothèse d’un mauvais fonctionnement du système immunitaire aux causes multiples entraînera divers traitements médicamenteux. D’abord, précisons que sa validité scientifique est des plus contestable. Elle serait due soit à l’envahissement du corps par des micro-organismes, des métaux ou des virus, soit par la contamination du corps à cause de la vaccination (Fudenberg et coll. ; Lahaie, 1997), soit par l’incapacité du foie à éliminer des toxines entraînant des dommages au cerveau (Edelsen et coll., 1997 ; Lahaie, 1997). 9C. Lahaie [3][3]Rapport de la troisième conférence internationale du Centre de… explique qu’« un virus peut circuler dans le sang et se loger dans des zones du cerveau, provoquant des crises d’épilepsie ou une légère encéphalite ou un arrêt du langage ou d’autres désordres. Les micro-organismes (champignons, comme le Candida albicans) sont les plus rapides à envahir le corps et peuvent s’installer sur toutes les muqueuses. S’ils s’installent dans l’intestin, il se forme une paroi qui empêche l’absorption normale des aliments, des vitamines, etc. Les aliments sont à moitié digérés. Le jeune ne présente pas d’allergie visible (éruptions cutanées, etc.), mais des intolérances alimentaires provoquant des troubles du comportement et des dysfonctionnements du cerveau » (Lahaie, 1997). L’hypothèse de l’autisme se fonde donc sur des critères invisibles : à défaut d’allergie visible, on déduit des intolérances alimentaires malgré l’absence de critère médical, pourtant indispensable à l’établissement de tout diagnostic viral ou autre ! Les anomalies supposées, causes des troubles autistiques, ne le sont qu’en lien étroit avec la description clinique des symptômes autistiques et non par l’étude virale ou la biochimie. 10De même, l’hypothèse de la vaccination, autre cause supposée de la contamination du corps, connaît maintes controverses scientifiques car la concordance se révèle toujours trop faible. Mais, si cette hypothèse est obsolète selon des critères scientifiques, elle n’est pas sans lien avec une observation clinique : la vaccination est en général réalisée après les 1 an de l’enfant, et la clinique auprès des sujets autistes nous enseigne qu’il existe une concordance temporelle d’une rupture dans les comportements du sujet entre 12 et 18 mois. Si pour la plupart des autistes, les troubles apparaissent dès la naissance [4][4]Troubles de l’alimentation, pleurs très importants…, d’autres parents rapportent que c’est après l’âge d’un an que les choses ont basculé, temps normalement où le petit d’homme entre dans le langage. En lieu et place sont venus l’isolement, le mutisme, les balancements, etc. Dans ce changement radical, nous proposons de considérer qu’il s’agit davantage d’une rencontre traumatique avec le langage. Celui-ci viendrait faire traumatisme parce qu’il introduit à la question de la perte symbolique, déperdition de jouissance du côté de l’être qu’exigent l’existence et l’emploi du langage. La rencontre avec les signifiants de l’Autre, avec son désir entendu sous les auspices de son discours, avec ses demandes, ses exigences, est pour le sujet autiste une rencontre réelle qui le mortifie dans son corps, car, pour lui, la perte n’est pas symbolisée mais vécue dans le réel (Perrin, 2007). Cette rencontre mortifère viendrait se rajouter à ce qui était bien présent, car de structure. Le repli s’affirme, la position autistique devient plus perceptible par l’entourage. D’où les déductions hâtives de ceux qui cherchent à tout prix un élément extérieur venu faire intrusion dans le corps, responsable du « dérèglement ». Encore une fois, les hypothèses dégagées ne le sont que par rapport aux descriptions symptomatiques que seule l’observation clinique du sujet autiste permet et non les dites avancées de la science. L. Kanner ne le prouve-t-il pas en changeant maintes fois de positionnement au cours de ses trente années de recherche sur l’étiologie de l’autisme sans jamais revenir sur sa description clinique princeps. 11Malgré les lourdes réserves qui pèsent donc sur l’hypothèse d’une défaillance immunologique, sont mis sur le marché des traitements visant la désintoxication de l’organisme et le renforcement du système immunitaire, bien qu’aucun n’ait apporté la preuve de son efficacité. Des autistes reçoivent alors soit de la fenfluramine supposée avoir une activité antisérotoninergique [5][5]Compte tenu d’une élévation anormale de la sérotonine sanguine… (Geller et coll., 1982 ; Ritvo et coll., 1983), soit de la vitamine B6 associée au magnésium supposée exercer une action métabolique plus générale (Barthélémy 1987 ; Martineau, 1986), ou de la naltrexone supposée réduire l’hyperactivité du système opiacé (Campbell et coll., 1988-1989 ; Leboyer et coll., 1990, 1991 ; Panksepp et Lensing, 1991) afin d’améliorer les contacts sociaux, émousser les automutilations et l’agitation (Leboyer et coll., 1992 ; Guérin, 2002, p. 336). 12Plus surprenante encore est l’injection intraveineuse de sécrétine [6][6]La sécrétine est à la fois une hormone digestive, qui contrôle…. « Cette pratique récente, écrit P. Guérin [7][7]MD, PhD, Unité de diagnostic et de traitement des troubles…, découle d’une simple constatation anecdotique » (Horvath et coll., 1998 ; Guérin, 2002, p. 337). En effet, l’auteur explique que trois sujets autistes avec des troubles gastro-intestinaux ont bénéficié, dans le cadre de l’exploration de leurs sécrétions pancréatico-biliaires, d’un test par injection intraveineuse de sécrétine. Dans les trois semaines qui ont suivi cette injection intraveineuse unique, leurs familles et les médecins prescripteurs constataient une amélioration des troubles du langage et du contact oculaire. Une frénésie médiatique s’est alors emparée des pays anglo-saxons pour procéder à des injections chez des centaines d’autistes, « sans là encore, poursuit P. Guérin, attendre des études contrôlées pour confirmer ou non l’efficacité de ce traitement […]. Les recherches entreprises depuis ne montrent aucun effet bénéfique de la sécrétine » (Corbett et coll., 2001 ; Roseman et coll., 2001 ; Guérin, 2002, p. 337). 13En 1993, M.-J. Sauret interrogeait déjà : « Pourquoi trois “autistes organiques” vaudraient mieux que 2 997 autres ? Que vaut par ailleurs ce diagnostic à partir de la forme du symptôme quand l’étiologie est pareillement hétérogène ? » (Sauret, 1993). De nombreux scientifiques s’insurgent de telles méthodes et dénoncent les essais thérapeutiques dans le domaine de l’autisme, rarement menés de façon méthodologiquement contrôlée. « Au total, conclut P. Guérin, avec des méthodes aussi peu rigoureuses, les résultats des études pharmacologiques restent trop peu concluants pour devenir consensuels » (Guérin, 2002, p. 334). Pourtant, les laboratoires, dont ces études dépendent le plus souvent, distribuent sans réserve les médicaments. La logique marchande semble s’être confondue, voire a dépassé la logique de soins. 14Il semble qu’il en soit de même pour le très en vogue régime alimentaire « sans gluten ni caséine ». Dès 1979, J. Pankseep émettait l’hypothèse que l’autisme trouvait son origine dans l’augmentation, au sein du cerveau, de peptides opioïdes. À sa suite, c’est dans la digestion du gluten du blé et de la caséine du lait qu’est supposée la provenance des peptides. Aujourd’hui, la théorie générale sur laquelle repose la mise en place du régime s’appuie sur le fait que près de la moitié des autistes souffriraient de troubles digestifs et que l’augmentation supposée de leur perméabilité intestinale aurait facilité le passage de substances toxiques, le gluten et la caséine, lors du développement cérébral. Pourtant, des controverses se font de plus en plus nombreuses et des médecins-chercheurs appellent à la prudence quant aux résultats escomptés. D’une part, il semble qu’il n’existe pas de lien privilégié entre maladie immuno-cellulaire et syndrome autistique ; de même, les études ne peuvent affirmer la permanence des troubles digestifs dans l’autisme, ni que les anomalies immunohistologiques y soient prévalentes. Dès lors, « pas d’argument décisif, concluent L. Robel et coll., en faveur d’une hypothèse générale selon laquelle les facteurs nutritionnels joueraient un rôle causal dans la pathogénie de l’autisme » (Robert et coll., 2005, p. 590). D’autre part, la seule étude mise en œuvre pour étudier l’effet des régimes sans gluten et sans caséine « a été réalisée, écrivent L. Robel et coll., par R. Knivsberg et K. Reichelt, grands promoteurs de ces régimes » (ibid., p. 585). Pour L. Robel et coll., la significativité des résultats est sujette à caution, ce, encore une fois, à cause de plusieurs problèmes méthodologiques, gages de la scientificité des résultats : le mode de recrutement des autistes n’est pas précisé, leur comportement alimentaire avant l’étude n’est pas décrit, seuls des enfants à taux peptidiques anormaux font partie de l’expérimentation, la proportion d’autistes non inclus car ne présentant pas de profil peptidurique anormal n’est pas donnée, un autre type de régime dans un groupe contrôle n’est pas proposé, les résultats des profils peptiduriques après régime ne sont pas montrés, les instruments d’évaluation utilisés ne sont pas internationalement connus, aucune indication n’est donnée sur les modalités de prise en charge des enfants, etc. (ibid.). Les exigences de scientificité établies par la même communauté scientifique ne sont donc pas respectées. Qu’à cela ne tienne, K. Reichelt va plus loin encore et affirme pouvoir définir la présence de ces peptides grâce à un test urinaire pour faire le diagnostic d’autisme et déterminer l’efficacité du régime. Plusieurs contre-études montrent au contraire que « sa méthode, affirme entre autres C. Andres [8][8]Chef d’équipe, U619 « Dynamique et pathologie du développement…, est incapable d’identifier le moindre peptide opioïde » (Andres, 2006). Néanmoins, il est aisément vendu par divers laboratoires via Internet « des kits complets de régime pour 40 €… par jour ! s’insurge C. Andres » (2006). Si la démonstration scientifique de l’efficacité du régime est loin d’être faite, l’intérêt financier, lui, s’y affirme.

L’hypothèse génétique 15Le dépistage génétique de l’autisme n’est lui non plus pas en reste. Les seules études qui mériteraient véritablement d’être considérées en faveur d’une composante somatique dans l’étiologie de l’autisme sont les études génétiques comparatives entre les jumeaux monozygotes concordants par rapport aux jumeaux dizygotes. Toutefois, bien que les études de fratries (Folstein et Rutter 1977 ; Bailey 1995) et de lignées familiales (Bolton, 1994) sur la recherche d’anomalies génétiques montrent une fréquence plus élevée de l’autisme chez les jumeaux monozygotes (Lenoir et coll., 2003, p. 73-83), la concordance n’est jamais de 100 %. En 2007, si P. Chaste et T. Bourgeron [9][9]Laboratoire de génétique et fonctions cognitives, Institut… indiquent, sans le développer, que la concordance avoisine les 90 %, toutes les autres études montrent plutôt un taux de 50 %, de sorte que l’on peut tirer les conclusions inverses, à savoir qu’un facteur environnemental intervient indubitablement. P. Chaste et T. Bourgeron parlent d’ailleurs davantage de « susceptibilité à l’autisme », autrement dit qu’une composante génétique pourrait être un facteur de vulnérabilité. « Malgré toutes les avancées, écrit M.L. Cuccaro, aucun mécanisme étiologique ni gène de susceptibilité n’a été mis en évidence chez la majorité des patients. La base génétique de l’autisme est pour l’instant inconnue » (Cuccaro, 2005). 16À l’inverse des annonces médiatiques faites en France depuis fin 2006, les conclusions de juin 2007 des généticiens de l’Institut Pasteur vont dans le même sens : « Les différents résultats génétiques et fonctionnels obtenus jusqu’à présent pour l’autisme syndromique (syndrome de Rett, X fragile et sclérose tubéreuse de Bourneville) ont permis de suspecter, écrivent-ils, l’implication de divers facteurs. Ces analyses génétiques ne réduisent pas l’autisme à un seul gène, mais au contraire que ce syndrome présente des origines multiples » (Chaste, Bourgeron, 2007, p. 111). Pourtant, dès juillet 2005, un article paru dans Le Monde (Nau, 2005) allait à l’encontre de ces conclusions très nuancées ; il annonce la commercialisation, dès 2006 aux États-Unis, du premier test génétique diagnostic de l’autisme, proposé en tant que home test, sans prescription médicale. Cette annonce s’appuie sur un article paru le même jour dans Molecular Psychiatry beaucoup moins péremptoire : l’analyse pointe sept régions susceptibles de contenir des gènes influençant la prédisposition à l’autisme. Le scientifique B. Jordan nous apprend que le communiqué de l’entreprise Integragen, start-up française, à l’origine de l’annonce dans le média français, « indique que le test à venir serait fondé sur l’analyse de quatre gènes dont trois correspondraient à des travaux non publiés d’Integragen : on anticipe donc très largement ». Comme la plupart des start-up en biotechnologie, « elle a besoin d’annonces spectaculaires pour rassurer ses investisseurs, affirme B. Jordan, (et) un autotest à vocation de dépistage a priori représente naturellement un marché bien plus large qu’un test de confirmation réservé aux seuls professionnels » (Jordan, 2005). 17Du point de vue scientiste, la psychanalyse n’aurait pas à s’occuper de l’autiste car elle serait une pratique archaïque, fondée à une époque où l’avancée de la science ne pouvait encore rien en dire. Pourtant, un handicap n’exclut aucunement un enfant d’une lignée, d’une famille dans laquelle il est inscrit, où des signifiants le déterminent bien avant sa venue au monde, et, comme l’écrit M. Grollier, « une causalité organique ne résout pas réellement la question des positions singulières de l’autisme » (Grollier, 2007, p. 272). 18De plus, les psychiatres les plus favorables à une approche de l’autisme par le biologique, les chercheurs les plus convaincus d’une anomalie génétique, les neurologues les plus persuadés de désordres neurologiques fonctionnels et/ou structuraux, ne peuvent en affirmer les principes que sur des bases qui restent aujourd’hui de l’ordre du souhait. Alors, les thèses cognitivistes se fondent d’un présupposé organiciste. Et, quand un cognitiviste se refuse à considérer l’autisme comme un handicap mais l’affirme comme « différence », celle-ci est conséquence « d’une modification spontanée du génome humain » (Mottron, 2004, p. 206). Quelle que soit l’approche envisagée, l’affection est affirmée dans le corps… De « la vérité comme cause, affirme J. Lacan, (la science) n’en voudrait-rien-savoir » (Lacan, 1965, p. 874). La tentative de forclore le sujet de l’inconscient n’est pas nouvelle mais l’énigme suscitée par l’autisme semble venir stigmatiser cette quête de mettre fin à l’indicible, justement parce que « son monde à lui… ce réel primitif est pour nous, affirme J. Lacan, littéralement ineffable » (Lacan, 1953-1954, p. 101). L’autiste serait-il devenu le fétiche de la cause étiologique ? En tout cas, objet de savoir, car il est considéré sans subjectivité, on lui refuse la prise en compte de son environnement pour appréhender son fonctionnement, on réduit ses créations psychiques originales et ordonnancées à des conséquences organiques déficitaires ou au moins à un mal-fonctionnement.

Un succès fondé sur la culpabilité parentale 19À partir des années 1990, en France, un certain mouvement parental va assimiler l’autisme au handicap justifiant une éducation spécialisée instrumentée. C’est principalement l’association Autisme-France qui a revendiqué le bénéfice pour les autistes des mesures accordées aux personnes handicapées dans le cadre social (loi de 1975), en marquant son refus de s’adresser à des psychiatres et psychanalystes leur reprochant de les culpabiliser. Il y a donc d’une part la volonté parentale de faire accréditer l’idée que l’autisme serait un trouble d’origine organique, ce qui justifierait de ne plus se tourner vers le médical ou le thérapeutique ; d’autre part, de faire classer légalement l’autisme comme handicap, à traiter sur le plan social et non plus dans le domaine psychiatrique ; et enfin, de faire prévaloir une seule méthode éducative, en l’occurrence la méthode teacch. De fait, la loi classant l’autisme comme handicap sera ratifiée le 11 décembre 1996 [10][10]Loi n° 96-1076, article 2 : toute personne atteinte du handicap…. Les réactions ne se feront pas attendre et les discrédits sur la psychiatrie et la psychanalyse se feront ouvertement. 20Mais il ne s’agit pas là pour nous de nourrir le débat handicap/maladie mentale, réduction toujours préjudiciable au sujet. En effet, ces dénominations, insignes réducteurs, ont comme point commun de faire motus sur le sujet, car ces dernières viennent se recentrer sur le malaise qui les détermine, l’enjeu réel de l’autisme. « Malaise dans la civilisation » qui trouve une réponse dans la désignation, l’assignation et l’exclusion. Exclure en effet est une des réponses car, si l’histoire de la psychiatrie révèle une succession d’entités cliniques qui voient le jour au profit d’autres, l’autisme, élevé au rang des grandes catégories diagnostiques dans le dsm iv, opère une dissolution : celle des psychoses, entité psychopathologique que pourtant la clinique valide, alors que « l’autisme » tantôt syndrome, tantôt symptômes, tantôt autres… perd par cette généralisation, cette omniprésence du trait, toute valeur conceptuelle. 21Double exclusion, puisque à ce moment où malaise et culpabilité se conjoignent, le handicap supplante la pathologie mentale, nouvelle assignation sans appel qui élimine toute référence au sens, aux signifiants propres du sujet, au temps, à l’inconscient, à la jouissance. Disparition du sujet d’où la revendication anti-psychanalytique. Pourquoi l’enfant porteur génétiquement d’une trisomie par exemple peut être envisagé comme ayant une subjectivité propre, comme un sujet névrosé ou psychotique, tandis que l’autiste handicapé non ? D’une part, parce que le locuteur, en l’occurrence le parent, qui affirme que l’autiste n’a pas besoin d’être soigné, dans la relation purement imaginaire (a – a’) qui le tient dans cette position transitiviste avec l’autre, c’est de lui qu’il parle (Ottavi, 1994). Ce parent fut effectivement rendu coupable par B. Bettelheim, thèse pourtant restée très isolée dans son propre champ car sans véritable fondement théorique, mais mise en exergue par les opposants à la psychanalyse. Si la faute est identifiée ailleurs que chez le parent, qu’elle est nommée dans le corps, la culpabilité disparaît-elle pour autant ? La demande faite aux parents par les tenants des méthodes cognitivistes ne fait au contraire que parier sur cette culpabilité, sommant le père et la mère d’être de bons éducateurs ou plutôt rééducateurs de leur enfant autiste, responsables du bon déroulement de la rectification. De même pour les régimes alimentaires, tout doit être maîtrisé, contrôlé, surveillé par les parents, responsables de l’efficace. L’éradication des troubles est en toutes circonstances le grand espoir. Non sans quelques fondements : l’angoisse des parents peut être ainsi colmatée, celle des intervenants peut trouver apaisement, « le signal et le conditionnement, écrit J.-P. Rouillon, viennent en lieu et place du réel que produit en chacun de nous la rencontre avec l’autisme » (Rouillon, 2006, p. 116). Ce scientisme rejette le sujet et le réel singulier auquel il a affaire. Les programmes ne traitent pas la jouissance et il est tout à fait notable qu’en dehors de l’école spécialisée teacch les parents témoignent « de comportements difficiles à l’extérieur (cris, se jeter par terre, se mordre), écrit B. Nelles. Cela peut être parce qu’il y a trop de bruit dans la rue, trop d’attente à la caisse, parce que la place habituelle dans le bus est prise » (Nelles, 2000). La jouissance fait retour par des envahissements du corps ; dès que la méthode ne lobotomise plus, le sujet et son réel font retour dans l’horreur. Mais si nous avons connaissance de ces témoignages, qui ne sauraient mieux démontrer combien le programme fonctionne sur un semblant d’efficacité, ce n’est pas grâce à une analyse critique des praticiens sur les effets thérapeutiques de leur programme, mais bien pour affirmer combien la méthode doit être pratiquée tous les jours, sans week-end ni petites vacances : « L’apprentissage est possible à condition de “pratiquer souvent” !, rapporte B. Nelles. Chaque activité doit être régulière, prévisible, inscrite dans le programme hebdomadaire. Certains gestes peuvent être enseignés à l’intérieur du centre, dans une situation plus calme, puis transposés dans la situation naturelle » (ibid.). Les parents (même à faire leurs courses) sont bien responsables de l’efficace ! Et, ajoute-t-on, non sans cynisme : « Quand on fait du modelage, du théâtre, quand on va au cinéma, quand on fait de la relaxation, “on ne fait pas du teacch” ! » (ibid.). 22De plus, il est dans la nature même de teacch d’accroître ses « divisions » : les psychologues, les éducateurs, les parents, les associations et leurs sponsors y font figure de croisés, tous coalisés pour délivrer les autistes de la psychanalyse. Les classifications internationales psychiatriques asservies aux théories cognitives ne sauraient le démentir. La rupture est marquée par la disparition d’un savoir spécialisé qui trouvait à s’appliquer au un par un. De plus, l’extension de la réalisation du programme teacch se caractérise par une pression pour le faire adopter par les gouvernements. Dès lors, d’une place de boucs émissaires, les parents passent ainsi à une position de « groupe de pression ». Répondant à l’impossibilité structurale de la fonction parentale, de coupables à responsables, les voilà asservis, assujettis à la cause des tcc.

Pour conclure 23L’éventualité d’un lien entre substratum organique et affection n’est pas à occulter, mais une corrélation directe entre une description symptomatologique psychiatrique et l’observation d’un processus organique ne peut être cautionnée, une même lésion pouvant prendre des formes cliniques variées. « Depuis la découverte de l’étiologie de Bayle, commentent J.-C. Maleval et L. Ottavi, il s’est toujours trouvé des aliénistes pour former l’espoir de résorber le sujet dans le corps. Cependant, le fait nouveau réside dans la montée d’autres appréhensions réductrices issues non seulement de la biologie mais de la psychologie expérimentale et de la théorie de la communication » (Maleval, Ottavi, 1991). Seul l’organe a quelque chose à dire. Alors, c’est le corps qu’on traite ! Du système opioïde du cerveau au système immunitaire, des médicaments désintoxicateurs de l’organisme aux programmes éducatifs et comportementaux, l’autisme, que certains définissent comme « le nouveau mal du siècle » (Jordan, 2005, p. 1), apparaît « comme le véritable fer de lance, analyse J.-P. Rouillon, d’une nouvelle façon de considérer la maladie mentale et le handicap » (Rouillon, 1997, p. 108). De plus, il est devenu non seulement un nouveau marché pour les laboratoires pharmaceutiques, mais aussi un enjeu politico-financier. En effet, la création de places pour enfants autistes conditionne l’augmentation des financements alloués aux institutions dans le secteur médico-social (Constant, 2007), le tout fondé sur le partenariat avec les parents qui se vivent désormais comme investis de manière active dans les choix thérapeutiques concernant leur enfant, cela dans la mouvance des programmes rééducatifs dont ils deviennent, plus que les garants, responsables de l’efficace. 24En tout état de cause, la psychanalyse est sommée de se taire ; mais ce n’est pas là le plus inquiétant car le psychanalyste ne recule pas devant le paradoxe, lui qui ne s’occupe aucunement de l’objet de la science ou du scientisme mais de son reste. Ce n’est donc pas sur l’objet que la psychanalyse aura quelque chose à dire mais justement sur ce que la science ou pseudoscience ne peut réduire. Ce qui est extrêmement alarmant en revanche, c’est que de telles conceptions organicistes de l’autisme refusent la parole au sujet ; dans de telles perspectives, l’autiste n’a pas mot à dire.

Notes

  • [1]Trois principales hypothèses se dégagent en cognition de l’autisme entre les années 1970 et nos jours : celle d’une faiblesse de la cohérence centrale, celle d’une absence de la théorie de l’esprit, et enfin celle des dysfonctionnements ou surfonctionnements exécutifs.

  • [2]Les « Nationales Societies for Autistic Children » représentent un groupe puissant qui fait toujours autorité.

  • [3]Rapport de la troisième conférence internationale du Centre de recherche en autisme de San Diego (le dan).

  • [4]Troubles de l’alimentation, pleurs très importants difficilement consolables, tension perçue à être pris dans les bras, fuite du regard, défaut de babillage.

  • [5]Compte tenu d’une élévation anormale de la sérotonine sanguine chez les apparentés de premier degré des enfants autistes.

  • [6]La sécrétine est à la fois une hormone digestive, qui contrôle les sécrétions pancréatiques et biliaires, et un neuropeptide qui agirait sur les systèmes de neurotransmission, la circulation cérébrale et la perméabilité intestinale.

  • [7]MD, PhD, Unité de diagnostic et de traitement des troubles envahissants du développement, centre hospitalier de Chartres.

  • [8]Chef d’équipe, U619 « Dynamique et pathologie du développement cérébral », Tours.

  • [9]Laboratoire de génétique et fonctions cognitives, Institut Pasteur, Paris, université Denis-Diderot Paris VII.

  • [10]Loi n° 96-1076, article 2 : toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d’une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques. Adaptée à l’état et à l’âge de la personne et eu égard aux moyens disponibles, cette prise en charge peut être d’ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social.


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